Pourquoi a-t-on le sentiment que l’on vient d’assister à un des meilleurs films de ces dernières années ? Pourquoi ce film qui semble tellement « lesté » par une somme infinie de détails matériels parvient-il à atteindre une grâce quasi-mystique ? Longtemps après la fin de la séance, les questions hantent et ne trouvent que peu de réponses.
Un suspens étouffant
L’histoire est simple et semble peu avenante. Un professeur de menuiserie, Olivier (formidablement interprété par Olivier Gourmet), qui travaille dans un centre de réinsertion pour adolescents, prend sous son aile un nouveau jeune, nommé Francis et paraît entretenir une relation d’attraction - répulsion avec lui. La cause de ce rapport trouble nous est fournie assez vite : le garçon est l’assassin du fils unique d’Olivier et il vient dans ce centre après avoir purgé sa peine de prison.
Se met en place alors un suspens étouffant car le doute plane sur les intentions de Olivier à l’égard de son « protégé », qu’il initie à l’art de la menuiserie sans lui avouer la raison de son pressant intérêt.
Abîme métaphysique…
Toute la force du film se déploie alors, Olivier semble fasciné par celui qui est à la source de son malheur. On comprend que la mort de son fils a brisé sa vie et l’a plongé dans une solitude sans fin. Sans vraiment réaliser lui-même comment il peut avoir la force d’aider Francis, il semble trouver en lui un nouveau fils. Nous voilà au cœur d’un incroyable abîme métaphysique. Chaque geste a priori banal, chaque regard prend alors une dimension symbolique sans que cela paraisse forcé et appuyé. Le mérite en revient à la mise en scène à la fois frénétique et très réaliste des frères Dardenne, dont on a souvent souligné qu’ils viennent du documentaire. Ils suivent, caméra à l’épaule, Olivier dans son quotidien, restant le plus souvent dans son dos, filmant sa nuque avec une grande intensité. Le film est délesté de tout le pathos qu’une telle situation pourrait procurer mais au contraire trouve toute sa puissance d’évocation dans cette simple description des techniques de la menuiserie et d’événements ordinaires.
Au cœur d’un dilemme humain
Le final renoue avec quelques codes du film d’action mais se termine, comme il se doit, sans réponse claire. Au spectateur de laisser parler sa conscience.
Après les très réussis « La promesse » et « Rosetta », les Dardenne, grâce à leur style si caractéristique, viennent donc de livrer un nouveau film singulier, d’apparence austère mais surtout d’une grande et belle sobriété. Leur regard est, cette fois, moins directement social mais plonge au cœur d’un dilemme humain, tendu et épuré jusqu’à la Grâce.
.::Samuel |