A Murrayhill, un lycée de l'Oregon, la routine est bien installée, chacun avec ses histoires et sa vie. John, dont le père est bourré, Elias le photographe, Nathan le beau gosse sportif qui va rejoindre sa copine sous les yeux jaloux de Jordan. Une journée d'automne bien ordinaire. Mais deux élèves préparent une tuerie. Récits d'une journée.

La mise en scène centrée sur les personnages

Ce film commence comme Ken Park, selon le modèle de scènes centrées chacune autour d'un personnage,suivi par une caméra dans ses déambulations à travers le lycée et la journée. Un fil pour chacun - on peut craindre la pelote de laine embrouillée à la fin. Dès que le second fil est posé, dès que le second personnage guide la caméra, on voit un croisement avec le premier. Puis des histoires sont étendues, présentées lentement ou furtivement, suivant leur trajectoire avec détermination, guidées en cela par le déroulement de la journée, parfois avec une musique qui fait adopter son propre rythme. Et cela perdure tout au long du film. Aucun réel suspense, la fin est déjà tout écrite, le carnage aura lieu. Où est alors l'enjeu du film, que verra-t-on au final?

Un autre destin que Ken Park

Surprise, en fait! On assiste à la création d'une toile cohérente sur un canevas transparent. Aucun message, ou alors une simple ébauche (les tueurs ne se sentent pas d'avenir et vivent un présent difficile en accumulant la rancune). Et c'est un suspense sans lien avec l'histoire qui est visible, un suspense de réalisation et non pas de scénario. C'est là que s'exprime le talent de Gus Van Sant, ce talent d'un réalisateur qui maîtrise et utilise la mise en scène à la perfection. Là où Ken Park s'est méchamment pris le mur, Elephant s'en sort parfaitement: ad augusta per angusta. Peut-être parce que le fait que l'histoire n'était qu'un guide, et non pas une finalité, était mieux assumé.

Et un autre choix que Michael Moore

On peut s'interroger sur l'idée "politique" qui a dirigé ce film. Sur ce thème de la fusillade dans un lycée, on pense nécessairement à Bowling for Columbine, de Michael Moore. Mais ce dernier était davantage un documentaire avec parti pris, façon "je cherche, je tombe par hasard sur une solution dans un bar canadien, et j'expose ma nouvelle théorie dans un film". Ici, tout avis est bien plus discret. Une réponse du cinéaste au documentaire? C'est un parti-pris, qui a l'avantage de ne pas être imposé au spectateur, à qui restera le droit d'être ou ne pas être d'accord. Et donc de permettre de ne pas apprécier ce film; on peut avoir la sensation de rester sur sa faim.

Voilà un film somme toute modeste, mais très bon; une expérience.

Les acteurs ne sont pas des stars hollywoodiennes, la composition musicale est en grande partie assurée par ce cher Ludwig, donc n'a rien de stupéfiant. Mais le croisement des vies, la position de la caméra, toujours invisible mais constamment présente, le naturel des acteurs et l'utilisation de la musique, c'est une expérience, ce film, parmi la masse de films conventionnels et habituels sortant ce mois-ci sur nos écrans! Une réussite. Qui ne flirte pas avec le chef-d'oeuvre, qui n'est pas excellent - et ce n'est pas là sa prétention - mais qui est tout simplement très bon. Allez-le voir. Si possible seul ou avec des amis calmes, pour mieux le savourer. C'est une petite leçon de cinéma qu'on vient y voir. Et un tableau de sentiments humains.



NB: 6 copies aux Etats-Unis, uniquement à New York et Los Angeles. Ca change de Will Hunting.