Un film de Alejandro González Inárritu
Pays d'origine Etats-Unis
Durée 2h04
Sortie en France 21/01/2004

Avec
Sean Penn (Paul Rivers)
Benicio Del Toro (Jack Jordan)
Naomi Watts (Cristina Peck)
Charlotte Gainsbourg (Mary Rivers)
Melissa Leo (Marianne)

Scénario Guillermo Arriaga
Musique Gustavo Santaolalla
Production Alejandro González Inárritu et Ted Hope
Distribution ARP Sélection, France

Le DVD
Zone2




 

21 grammes
(21 grams)
 
Irréversible
 

21/01/2004
Pourquoi aime-t-on un film ? Pour une somme de détails séduisants et prenants ou pour une force qui en émane et qui transcende les éventuelles lacunes de l’œuvre. Souvent les deux, parfois l’un ou l’autre. Cette question récurrente pour le spectateur prend dans le cas de « 21 grammes » une résonance toute particulière. Car voilà bien un film que l’on aimerait détester, tant le savoir-faire de son réalisateur, le mexicain Alejandro González Inárritu, nous renvoie fréquemment l’image insupportable d’un surdoué rusé, virtuose de la mise en scène et grand manipulateur d’émotions.
Alors pourquoi ce film qui pourrait bien avoir tous les défauts du monde, est-il si formidable ? Pourquoi devient-il une vraie et rare expérience de cinéma ? Pourquoi tous les gimmicks et les trucs qui le parsèment ne sont pas un obstacle infranchissable, un mur entre le film et nous mais au contraire une clé d’entrée puissante dans un univers tragique ? On aurait de la peine à épuiser ainsi le questionnement qui surgit à la sortie de « 21 grammes » tant ce film est un séisme, qui fait émerger mille interrogations.

Short cuts

Le dispositif narratif du film est tout entier fondé sur une déconstruction temporelle du récit, qui suit les trajectoires enchevêtrées de trois personnages dont on ne saisit pas les liens de prime abord.
Qui est ce Jack, grande baraque latino qui semble avoir l’improbable foi religieuse des convertis de fraîche date ? Qui est ce Paul montré alternativement sur le point de mourir ou en parfaite santé ? Qui est cette blonde Cristina, épouse modèle et comblée par deux petites filles mais que l’on surprend aussi à prendre diverses drogues ? Par quel absurde hasard les destins de ces trois personnages vont-ils converger implacablement vers le trou noir que l’on pressent ? Car si le début du film est opaque, on ne se fait pas d’illusions, le climat oppressant qui se dégage de ces courtes séquences paraît indiquer que tout cela va finir mal, très mal.
Et peu à peu, le puzzle se met en place, deux connexions se font alors jour : Jack a provoqué la mort de la famille de Cristina dans un accident de voiture et Paul se sauve en se faisant transplanter le cœur du mari de celle-ci. Reste à boucler le système : Paul, pour donner sens à sa renaissance, recherche celle qui lui a donné l’organe de son mari mourrant, en tombe amoureux et décide de l’aider à accomplir sa vengeance contre celui qui a déclenché involontairement le cataclysme qui a ravagé l’existence de Cristina et prolongé paradoxalement la sienne.

Miettes de vie

L’auteur du remarqué « Amours chiennes » poursuit donc ici sa passionnante et singulière exploration des gouffres humains et des émotions extrêmes. La puissance de ce film (quasiment au sens balistique du terme) brûle tout sur son passage, en provoquant un faisceau de sensations d’une intensité peu banale. La fragmentation en blocs de tension disposés aléatoirement, ce qui ne constitue certes pas une première, trouve dans « 21 grammes » un point d’incandescence stupéfiant. On pense bien sûr au fameux « Je t’aime, je t’aime » de Resnais, matrice fondamentale des exercices de déconstruction fictionnelle mais qui serait ici pulvérisée par la violence de la réalité urbaine contemporaine, capturée brutalement caméra à l’épaule. Loin de tomber dans une abstraction théorique, qui mettrait le spectateur à distance, Inárritu nous plonge au contraire dans le bain bouillonnant et bouleversant de ces miettes de vie éclatées.
Car nous sommes totalement immergés dans ces existences brisées, dont la collision ne nous apparaît pas comme factice (c’était un des nombreux risques de l’entreprise) mais comme une inéluctable fatalité. Leur passé et leur milieu social auraient du en faire des étrangers les uns pour les autres, comme trois lignes de vie vouées à rester éternellement parallèles. Mais leur ligne de chance en a décidé autrement. C’était écrit, pourrait-on dire, dans une interprétation mystique de ce film particulièrement éprouvant.
Les acteurs ne sont pas pour rien dans la réussite de ce « 21 grammes », perpétuellement sur le fil, prêt à basculer dans une hystérie artificielle, un lourd pathos ou plus simplement dans un indigeste trop plein. Sean Penn en premier lieu, qui s’impose décidément comme l’acteur hollywoodien tout-terrain de sa génération, Naomi Watts ensuite, qui excelle en femme anéantie, portant sur elle toute la fêlure du monde. Benicio Del Toro enfin, dont la pesante corpulence se marrie bien avec les démons intérieurs de son personnage, torturé par les affres de la culpabilité et de l’impossible rédemption.
Bref, « 21 grammes », qui risque bien de provoquer des réactions exacerbées, apparaît sans discussion comme un film à voir de toute urgence, au moins pour se forger sa propre opinion.

.::Samuel
©Chroniscope : 2000-2024
Conception/design : Jean Bernard | Programmation PHP/Mysql : Fabien Marry | Articles : Sophie | Martin | Anne | Sébastien | Jean | Fabien | Oli | Dan | Samuel | Virae | Antoine
Les avis exprimés sur le site n'engagent que leur(s) auteur(s) | Mentions légales